Ceux qui cherchent la facilité n’ont rien à faire ici
Il n’y a que des épreuves devant moi
Le courage de tout surmonter
Les limites de l’impossible sont devant moi
Ceux qui fuient les monts et les déserts
Ne trouveront jamais la paix
Ces vers du barde sindhi, Shah Abdul Latif, décrivant la quête à travers les monts et les déserts de son bien aimé par Sassui, une héroïne du folklore sindhi, pourraient également s’appliquer à Farzana Majeed, partie sur les chemins pour dire sa rage au monde sur la disparition forcée de son frère, Zakir Majeed, étudiant en maitrise de l’anglais à l’université du Baloutchistan et l’un des dirigeant de la Baloutche Students Organization (BSO). Il a été enlevé par les forces de sécurité en juin 2009 comme des milliers d’autres jeunes baloutches dont beaucoup sont ensuite tués et leurs cadavres mutilés jetés dans des endroits déserts.
Les disparitions forcées de jeunes activistes et intellectuels baloutches ont commencé en 2002 pour prendre de l’ampleur à partir de 2005 quand l’armée pakistanaise et des forces paramilitaires ont commencé une guerre en règle contre les nationalistes baloutches. Selon la ‘Voice of Baloch Missing Persons’ (VBMP) – La voix des disparus du Baloutchistan - organisation formée par des parents de disparus, il y a 2825 cas documentés de disparition forcées depuis 2005 et de plus de 600 activistes ayant fait l’objet d’assassinats ciblés par les services secrets pakistanais et leurs supplétifs ; des personnes éduquées, avocats, médecins, étudiants, professeurs de l’université, intellectuels, écrivains, poètes, et des professionnels pour la plupart. L’Human Rights Commission du Pakistan a recensé 1400 cadavres mutilés retrouvés entre juillet 2010 et mai 2011. Et d’après le “Human Rights Watch” basé à New York au moins 300 cadavres mutilés ont été retrouvés depuis 2011. Selon Naseerullah Baloch, Chairman de VBMP, les cadavres portent toujours des marques de torture – bras et jambes cassés, brûlures de chocs électriques, trous percés au moyen de foreuse dans le corps, et finalement une balle dans la tête ou la poitrine.
Farzana détient une maîtrise de biochimie de l’Université du Baloutchistan à Quetta. Elle a mis fin à son ambition de poursuivre ses études de doctorat pour consacrer sa vie au seul métier qui vaille pour elle, crier haut et fort sa colère sur la disparition forcée de son frère. Elle appartient à une famille politique multirécidiviste ; son père qui était l’un des dirigeants du ‘Balochistan National Movement’ a été assassiné en 2002 dans des circonstances non-élucidées jusqu’ici.
Pour autant, Farzana n ‘est pas la seule femme à rejoindre la lutte du peuple baloutche pour la dignité. Devant la guerre d’extermination que l’armée pakistanaise mène contre la jeunesse du Baloutchistan, les jeunes filles baloutches éduquées sont montées au créneau. La présidence de la ‘Baloch Students Organization’ est désormais assurée par une jeune étudiante, Karima Baloch. L’on ne s’y attendait pas dans une province qui se trouve au plus bas de l’échelle des indices du développement humain au Pakistan.
Après l’enlèvement de son frère, Farzana a frappé sur la porte des tribunaux pour demander des nouvelles de son frère. Elle a fait des grèves de la faim dans différentes villes et devant le siège à Islamabad de la cour suprême. Après avoir épuisé tous les recours, elle a rejoint la VBMP, dont elle est aujourd’hui le porte-voix principal et la secrétaire générale. Le camp de protestation tenue par la VBMP devant le « Press Club » de Quetta vient de compléter ses cinq ans. “Je suis continuellement dans les rues depuis cinq ans, dit-elle ». Chaque fois qu’elle entend parler de la découverte d’un cadavre mutilé et torturé, elle se précipite à la morgue, refoulant la pensée qu’il peut être celui de son frère. Avec chaque jour qui passe son espoir de le retrouver vivant s’amenuise. Elle a du mal à consoler sa vieille mère et à lui donner de l’espoir que Zakir reviendra sain et sauf et non pas sous forme d’un cadavre mutilé.
Constatant que le camp de protestation à Quetta ne suffisait pas à faire entendre la voix des familles des disparus au reste du pays, la VBMP a décidé d’organiser une marche de parents de disparus de Quetta à Karachi. Le cortège, dirigé par ‘Mama’ – oncle – Qadeer, vice-chairman de VBMP âgé de 70 ans et Farzana, comprenant 16 personnes en tout dont huit femmes et trois enfants, a quitté Quetta le 27 octobre 2013. Les participants marchaient silencieusement, scandant d’occasionnels slogans, couvrant de 25 à 30 kilomètres tous les jours. Des sympathisants les rejoignaient pour un bout de chemin. Le cortège a été attaqué à plusieurs reprises par des nervis de groupes religieux extrémistes avec l’appui des autorités.
Après avoir parcouru 700 kilomètres sur les routes brulantes à travers une région fortement escarpée, les marcheurs sont arrivés devant le Press Club de Karachi le 22 novembre les jambes enflées et des ampoules sur la plantes des pieds.
Un rassemblement de solidarité avec les disparus du Baloutchistan y a été organisé. Devant une audience émue Farzana, enveloppée dans un châle baloutche, a dit sa détermination de continuer sa lutte :’J’ai perdu la santé mais non pas le courage. Peu importe que les ampoules sur nos pieds ne soient pas guéries mais nous ne sommes pas fatigués. Nous n’avons pas renoncé. Est-ce que l’État pakistanais pense que parce-que mon frère luttait pour le droit des baloutches à l’existence et à la liberté, il peut l’enlever et le garder incognito pour des années et ensuite le tuer ? Si il y a des chefs d’inculpation contre lui et ses camarades pourquoi ne sont-ils pas présentés devant la justice’. Parlant des cadavres mutilés de militants, Farzana a évoqué la façon barbare dont ils ont été tués – le crane perforé, les yeux arrachés, côtes cassées ou sciées.
Parmi les autres participants de la marche témoignant devant le rassemblement, c’est le jeune Ali Haider, âgé de 10 ans, qui a retenu l’attention de tout le monde. Il a fait des grimaces en faisant part de son dégout pour l’État pakistanais, le traitant d’ordure – kachra. Racontant sa marche de Quetta à Karachi Ali Haider dont le père a été enlevé il y a 4 ans a dit « je ne me suis jamais senti fatigué pendant la marche. Quand l'on n’en pouvait plus l'on se reposait un peu et l'on se désaltérait pour repartir.”
Sammi Baloch la fille du Dr. Deen Mohammad, maitre assistant au Balochistan Medical Center, qui a été enlevé à Ornach prés de Quetta a également été de la marche. Elle a raconté que sa grand-mère a attendu son fils jusqu’ à son dernier souffle. Elle ne demandait qu’à le voir. Son désir n’a jamais été réalisé.
“Si ce n’était pas pour le courage montré par les femmes et les enfants qui sont avec nous, a dit Mama Qadeer dont le fils lui-même a été enlevé puis tué, j’aurais renoncé, mais maintenant je peux marcher jusqu'à ce que la mort s’ensuive ». En effet, les participants de la marche ont pris la décision de poursuivre leur marche vers Islamabad à 1300 kilomètres de Karachi, pour attirer l’attention des diplomates étrangers au calvaire du peuple baloutche.
Sur le chemin d’Islamabad, lors de la traversée du Sind, l’accueil a été partout chaleureux, mais quand le petit cortège a pénétré au cœur du Pendjab, les services secrets ont commencé à harceler les participants. Un véhicule a heurté deux des femmes du cortège dont une a du être évacuée à Karachi pour traitement. Ils n’en sont pas moins parvenus à Islamabad et ont pu rencontrer, entre autres, la Mission de l’ONU.
Selon Farzana “ nous avons reçu un accueil chaleureux de la part des responsables des Nations-Unies à Islamabad mais l’ONU et la communauté internationale doivent assumer plus de responsabilité et doivent nous donner l’accès aux différents forums internationaux pour nous permettre de disséminer l’information sur le sort terrible qui est réservé au peuple du Baloutchistan par l’État pakistanais”
Pourtant ce n’est pas la première fois que l’ONU est mise au courant des disparitions forcées au Baloutchistan. Le groupe de travail des Nations-Unies sur les disparitions forcées dirigé par le français Olivier de Frouville, qui s’était rendu en septembre 2012 au Pakistan, avait dans son communiqué exprimé sa préoccupation sur le fait que même quand des témoins avaient clairement identifié les personnes responsables pour des enlèvements celles-ci n’ont pas été traduites devant la justice et condamnées.
Selon le groupe « Les familles des personnes disparues ont le droit de connaitre la vérité sur le sort de leurs proches. Il est de la responsabilité et du devoir de l'État de mener des enquêtes approfondies sur toutes les accusations de disparitions forcées et de faire traduire les auteurs en justice ». Vœu pieux qui risque de ne jamais être exaucé ; les puissants de cette terre ayant d’autres chats à fouetter. Le chemin qui reste à parcourir pour Farzana et ses camarades est très long et ardu.